Un pied gauche exceptionnel. Une vision du jeu fantastique. Une prise d’initiative imprévisible qui à en oublier parfois ses partenaires. Tel était Lennart « nacka » Skoglund. Pour l’histoire du football suédois, mais aussi pour les interistes, cet ailier gauche restera l’image type du milieu de terrain moderne et un des plus grands créateur et technicien du football d’après-guerre. « Les personnes ont dit qu’il pouvait jongler avec une pièce de 100 lires, d’abord avec son talon droit, puis avec son gauche avant de le glisser dans la poche de sa veste…. ». Témoignage mainte fois repris en exemple par les tifosis, témoins privilégiés des exploits du blondinet durant prés de 15 ans.

Mais aussi tel un autre maestro du nom de garrincha, qu’il affronta lors du match le plus important de l’histoire du football suédois, la finale de la Coupe du Monde en 1958, il est aussi l’image type de ces sportifs qui virèrent à fond leurs vies au point d’en perdre le contrôle. Dans l’excès, la démesure, avec au bout de la route, ce destin qui ne peut se terminer que de manière tragique.

Les débuts du génie du ballon rond à Stockholm 

Lennart né à Stockholm le 24 décembre 1929. Non attiré par les études celui-ci se dirige très vite vers le football. En 1943 il évolue au IK Stjarnan. En 1944, il signe à Hammarby, où un officiel du club l’a décrit comme un joueur possédant les pieds les plus rapides que nous ayons jamais vus dans le Sud du pays. En raison de la présence d’un autre joueur avec le même nom à Hammarby, on lui attribue le nom de son quartier d’origine « Nacka ».

En 1946, il fit son apparition en équipe première alors en 2ème division et y disputa 11 matchs. Ainsi, pendant 4 ans, il portera 57 fois la tunique verte et blanche en gagnant sa vie en parallèle comme électricien. En 1949, pour la somme de 1000 couronnes (environ une centaine d’euros), un costume et pour sa mère un manteau, il signe à l’AIK, qui à l’époque était déjà un des clubs les plus riches du pays et pouvait payer les joueurs. Contrairement à Hammarby où il était interdit pour ces derniers de recevoir de l’argent. Mis à part quelques primes de matchs » officieuses » et en espèces. Lors d’une tournée de l’équipe au Royaume-Uni et en France, l’AIK perd contre Liverpool 2-4. Mais George Kay, manager des Reds le remarque et lui prédit une grande carrière. Mais un coup du sort va le mettre au premier plan.

Débuts prématurés en sélection 

Au printemps 1950, la Suède qualifiée pour le Mondial brésilien doit faire face à plusieurs indisponibilités des joueurs professionnels (8 joueurs étaient partis à l’étranger après la victoire olympique à Londres en 1948). Alors la fédération suédoise décide d’envoyer une équipe de joueurs amateurs. Lors d’une rencontre entre l’équipe nationale et une équipe amateur, composée par un groupe de journalistes sportifs dont fait partie notre sujet (qui d’ailleurs à ce moment-là effectue son service militaire obligatoire en tant que canonnier d’artillerie à Vaxholm). Celle-ci gagnera par 3-1 dont avec deux buts de Lennart. Le sélectionneur suédois George Raynor, qui entraînait en parallèle … l’AIK avait remarqué le potentiel du jeune homme. Et ainsi en n’ayant joué aucun match d’Allsvenskan, Skoglund fit ses débuts internationaux contre les Pays-Bas en juin (victoire 4-1).

Au Brésil, la Suède est dans le groupe de l’Italie (traumatisée par le crash du Torino avec la perte de 8 internationaux, celle-ci refusera de faire le voyage en avion), le Paraguay et l’Inde (qui déclarera forfait après avoir eu le refus de la FIFA que ses joueurs puissent jouer… pieds nus) avec une seule place qualificative pour le tour final constitué d’un groupe de 4 équipes. L’entrée en matière face à l’Italie constituera une grande surprise avec la victoire des Suédois 3-2 et un match plein de Skoglund. Mais déjà, son manque de concentration pendant les longues périodes d’inactivité entre les matchs, l’atmosphère ambiante du pays et le fait que parfois Raynor n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait, lui coûteront une place dans l’équipe pour les derniers matchs. Qualifié la suède terminera 3éme de ce Mondial derrière les champions du monde uruguayens, le Brésil et devant l’Espagne. Sans douter que la Suède devrait attendre 8 ans et une autre Coupe du monde avant de revoir Skoglund revêtir la tunique jaune.

Au retour au pays alors qu’il commence à susciter l’intérêt de nombreux clubs italiens et … de Sao Paulo qui voulait qu’il reste au Brésil, il remporte avec l’AIK la Coupe de Suède (3-2 contre Helsingborg). À l’automne, alors qu’il n’a joué que 5 fois pour l’AIK, il signe, enfin… son père signe (le joueur est encore mineur n’atteindra les 21 ans qu’à la fin de l’année) à l’Inter de Milan pour 12 millions de lire (environ 6000€). Il devient ainsi le 20ème suédois à partir du pays (11 de la sélection au Brésil avaient emboîté le pas quelques semaines avant) et cela sans avoir joué un seul match en Allsvenskan. Du coté de l’AIK, on ne fut pas mécontent de voir partir ce jeune talent, tant son manque d’intérêt de ce dernier pour le club s’était fait sentir.

L’Italie et l’Inter, nouvelle terre d’accueil

Ses débuts au sein du club entraîné alors par Aldo Oliveri sont réussis. Pour son premier match, l’Inter bat la Sampdoria 5-1. La semaine suivante il met un doublé dans le derby Milanais remporté 3-2. En 29 apparitions lors de sa première saison, il a marqué 12 buts et l’Inter terminera à un point derrière les Ronssoneris emmené le trio légendaire suédois Gren, Nordahl (meilleur buteur de la saison 34 buts) et Liedholm. L’entente avec Benito Lorenzi et le hongrois István Nyers (l’autre étranger du club) fut immédiate et sera pendant de longues saisons un potentiel offensif très performant. La saison suivante l’Inter termine 3ème derrière la Juve et le Milan. Ses passes, sa vision de jeu, ses dribbles en font un des joueurs les plus appréciés de San Siro.

L’Italie voulait oublier la guerre et passait à autre chose, aussi les endroits pour se divertir ne manquaient pas, notamment à Milan. C’était une ville facile pour se divertir et aussi pour…. s’égarer. Nacka, avec un contrat en or à la clé, obtient un appartement derrière La Scala, profite de la vie nocturne avec sorties en boîtes de nuit. Le contexte idéal pour que sa folie destructrice prenne le dessus. Ses habitudes inquiètent déjà la direction du club. Or, il rencontre Nuccia Zirelli, une reine de beauté locale. Le couple se marie très vite et ainsi l’espérance d’une vie stable apparaît et semble même se confirmer avec l’arrivée d’un premier enfant en mai 1953.

Au même moment, Foni est le nouvel entraîneur de l’Inter. Et instaura à l’équipe sa tactique du catenaccio (7 défenseurs et le trio infernal en attaque). Consigne numéro 1, ne pas prendre de buts. Quitte à user Lorenzi et Nyers devant avec des courses interminables. D’où l’importance de Skoglund qui serait, en plus de son coté ‘’individualiste’’ tant reproché tout au long de sa carrière, un merveilleux relai distributeur pour les 2 malheureux de devant.

L’Inter séduit peu, mais reste invaincu jusqu’à la 20e journée (défaite 3-1 contre le Torino). Le club est champion pour la première fois en 13 ans depuis 1940 après une victoire 3-0 à domicile contre Palerme lors de la 31ème journée. Les joueurs après avoir reçus chacun une prime d’un million lires, finirent la saison sur 3 …défaites. Avec ce système tant décrié (même le président Carlo Masseroni ira de sa petite critique) l’équipe ne concédera que 24 buts en 34 matchs mais n’en marquera que 46. Lennart lui disputera 30 matchs pour 6 buts. Devant tant de critiques, Foni changea de tactique la saison suivante. L’inter marqua plus (67 buts) dont un 6-0 contre la Juve et conserva son titre avec un point d’avance sur la vieille dame. Skoglund jouera cette saison-là 27 matchs et marquera 10 buts. Nacka est alors au sommet de sa carrière et de sa popularité. Mais qui dit populaire, dit exposé. Son train de vie, ses problèmes d’alcool deviennent alors vite un sujet commenté dans la ville.

La confirmation au Mondial 1958

En 1958, le débat en Suède était de savoir qui aller représenter la sélection pour la Coupe du Monde. Les stars professionnelles étrangères si peu disponibles par le passé ou former la sélection de joueurs « locaux ». De peur de mal figurer à domicile la première solution fut retenue. Et ainsi, après plusieurs années d’absence Skoglund fit son retour en équipe nationale au côté de Gunnar Gren, Hamrin, Liedholm, Elmosson…Le pays ne connaissait pratiquement pas ses stars.

Pire, certaines de celles-ci avaient largement dépassé la trentaine. Et nombreux doutaient des performances de cette équipe. Et pourtant, tel un dernier baroud d’honneur, celle-ci emmènera avec elle tout un pays jusqu’en finale contre le Brésil. Les Suédois profitèrent enfin de ses gloires enfin réunies (où 7 d’entre eux ont été ou sont, des joueurs du Calcio) où Lennart participera à toutes les rencontres. En terminant d’abord première de son groupe devant le Pays de galles, le Mexique et une Hongrie qui n’avait plus rien avoir avec celle de 1954. Puis en battant en quart l’URSS 2-0.  Et surtout, les champions du monde Ouest Allemands 3-1 (match qui verra l’unique but de Nacka en sélection). Après leur qualification pour la finale, les joueurs vers la capitale, font 600km à travers la campagne en train pour rejoindre Stockholm. Douze heures de réjouissances. «A chaque gare (une bonne dizaine), le train s’arrêtait. Des milliers de gens bloquaient les voies», raconte Liedholm. Les joueurs descendent à chaque fois, reçoivent des fleurs, ont droit au discours du maire  » Nous sommes arrivés à Stockholm avec plus de trois heures de retard  » ajouta-t-il. Malheureusement en finale, le Brésil mit fin au rêve en remportant sa première Coupe du Monde (2-5).

1958, le roi de Suède Gustaf VI Adolf et Nacka

Un retour de Mondial mouvementé

Au retour du mondial, Skoglund découvre que son argent a mal été placé par son conseiller financier Gino Anzanello et qu’il est dans le rouge. En effet, pour ne pas laisser sa femme dans la difficulté financière durant le mondial, Lennart avait signé des chèques en blanc. Son conseiller en profita pour faire investir Nuccia en promettant profit avant même le retour de Lennart de Suède. Au bord de la faillite, le nouveau président interiste Moratti, le conservera une saison de plus et lui versera une prime pour se relancer financièrement.

La saison 58-59 il ne disputa que 15 matchs. Cela à cause d’une hernie qui le poussa sur le banc. Ce fut sa dernière saison en bleu et noir. Pour l’Inter, Il aura disputé 246 matchs et marqué 57 buts. Il signa à la Sampdoria d’Alberto Ravano pour 30 millions de lires. Cette samp là était composé de vieux grognards que beaucoup de clubs pensaient fini pour le calcio. De plus les joueurs sont payés aux résultats. Sa famille restée à milan, Nacka a quartier libre pour satisfaire ses mauvaises habitudes. Pilules (afin de supporter les blessures), alcool (jusqu’à profiter d’ une bouteille de whisky cachée au poteau de corner en faisant croire qu’il faisait ses lacets). Il y restera 3 saisons (78 matchs et 15 buts) où la samp finira à chaque fois dans les 10 premiers avec notamment une 4ème place en 1961. En 1962, il signe à Palerme. Mais le club vit une saison difficile et n’a pas vraiment confiance en sa sobriété en lui imposant même un couvre feu. Le Suédois n’ y disputera que 6 matchs avec au bout une relégation en Série B du club sicilien et un nouveau titre national pour… l’inter.

Après avoir quitté le club, il est impliqué dans un grave accident de voiture avec ses deux fils qui passeront plusieurs semaines à l’hôpital. Fauché, mal en point moralement, Nacka retourne à Hammarby, le club de son cœur, en 1964. Mais il revint seul. Son mariage fini, ses fils sont restés en Italie avec leur mère. Pour son premier match contre Karlstad il met un but directement du poteau de corner faisant exploser le Johanneshovs heureux de revoir sa star. Il disputera 56 matchs pour son retour à Hammarby. Avec qui, il découvrira enfin l’Allsvenskan après avoir contribué à sa montée, il quitta le club en 1967.

Lennart sous les couleurs d’Hammarby en 1966

Une fin de vie tragique

En 1968, il joue pour le Kärrtorps IK en quatrième division, une équipe entraînée et dirigée par son frère aîné Georg. Avant de se faire virer pour son comportement. Retraité, alcoolique,vivant dans un petit appartement, refusant par fierté l’aide pour échapper à sa dépendance, il fit différents métiers. Il se lancera même dans la chanson (un de ses titres atteindra même la 7ème place des chants du pays ). Grossi, atteint de calvitie, solitaire, il n’est même pas reconnu par un serveur de restaurant italien et supporter du milan quand il lui annonce qu’il est Nacka Skoglund. Le serveur ajouta même . « Papa et moi avions l’habitude d’aller à San Siro voir l’Inter. Vous n’êtes pas Nacka Skoglund!  » Effondré il quitta les lieux.

En 1972, il rencontre une fille qui lui assure un travail dans une librairie. Malgré ses bonnes intentions, elle le quittera devant la découverte qu’il buvait en secret. Seul il retourne vivre chez sa mère. Après plusieurs tentatives de suicide, Lennart « Nacka » Skoglund a été trouvé par la police mort sur son canapé de la maison d’enfance, alerté par un ami qui découvrit le désordre dans l’appartement en regardant à travers la boite à lettres de la porte. Suicide ? crise cardiaque ? hémorragie interne ? Surconsommation de médicaments et d’alcool ? comme à chaque tragédie de personnalités publiques les sources divergent. À l’enterrement de Skogskyrkogården à Gamla Enskede, devant plus de 2000 personnes mais sans la présence du club d’Hammarby, le prêtre dira : «Maintenant tu peux venir au paradis Nacka. Il y a beaucoup de place pour toi là-bas. Dans une interview dans un journal après sa mort, sa mère dira : « Lennart n’avait pas de vrais amis, pas même pendant le succès. Il était le seul au monde. »


Se sentant abandonné de son vivant, son existence elle, est loin d’être oubliée. Après sa disparition, Börje Dorch et Jan Sparring, 2 supporters d’Hammarby créent une association au nom des « amis de nacka » qui a pur but d’honorer la mémoire du footballeur. Ainsi, tous les 24 décembre à 10h du matin, plusieurs centaines de fans se réunissent devant la maison d’enfance de Skoglund en organisant diverses animations. En 1984, une statue fut même érigée avec pour thème le fameux corner contre Karlstad. En 2001, ce lieu fut rebaptisé la ‘’Nackas Hörna’’ (le coin de Nacka). Ainsi il devient inconcevable pour les fans de Hammarby d’ignorer cet endroit et d’y être insensible.

De plus, à plusieurs milliers de kilomètres de ce lieu à Milan, rue Lorenteggio se trouve un bar.Rien de bien sensationnel. Sauf qui celui ci se nomme tout simplement le « Skoglund ». Endroit créé par ses 2 fils Evert et Giorgio avec pour décorations, quelques clichés du papa. Non, on ne peut oublier ou ignorer Lennart Skoglund passé maintenant à la postérité. Ce qui est sans doute le plus bel honneur qu’il puisse recevoir.

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