L’homme qui a réalisé ce que les Finlandais pensaient devenu impossible après tant d’années d’échecs, emmener la Finlande à un tournoi majeur de football. Markku Kanerva a en effet accompli ce que 21 sélectionneurs en 9 décennies et 32 éliminatoires n’avaient pas réussi, même pas des Roy Hodgson, Stuart Baxter ou encore Richard Møller Nielsen avec la fabuleuse génération des Litmanen, Hyypia, Tainio, Forssell,… Et cela n’est pas son premier coup d’éclat pour le football finlandais puisqu’en tant que joueur il a participé en 1998 à la première phase de groupe de Ligue des Champions d’un club finlandais puis en tant qu’entraineur en 2009 à la première participation à l’Euro U21 et donc désormais au premier Euro avec les A pour cet été.
Présentation de ce sélectionneur, peu connu en dehors des frontières de son pays, qui a longtemps concilié football et éducation pour ensuite devenir un véritable héros au pays des mille lacs et qui compte bien dans le rôle d’outsider surprendre l’Europe entière avec sa sélection.
Des salles de classe aux terrains de football
Marrku Kanerva a connu une carrière de footballeur des plus honorables dans les années 1980/90 en tant que défenseur central international à 59 reprises. Il n’aura évolué que dans 3 clubs avec une pige de 2 saisons en Suède à Elfsborg et une autre d’une saison au pays en prêt à FinnPa et aura surtout évolué au sein du club de la capitale, le HJK. Au sein de son club formateur et le plus titré au pays, il aura remporté 5 championnats et 6 coupes en 11 saisons et aura eu l’occasion de disputer la phase de groupe de Ligue des Champions 1998, historique pour un club finlandais et jamais réalisé de nouveau depuis, après avoir éliminé le FC Metz de Louis Saha en barrage.
Mais en parallèle de son métier de footballeur où la première division était déjà professionnelle, Kanerva a cumulé un autre métier en étant le seul de l’effectif dans ce cas, en tant que professeur d’école. Il avait en effet était diplômé lors de ses études en éducation avec une spécialisation en mathématiques et a pu écrire une thèse sur les techniques de coaching du football. Ce qui fait que les jours de match à domicile, il enseignait aux enfants la journée et le soir il affrontait le PSV Eindhoven de van Nistelrooy, le Benfica de Nuno Gomes et le Kaiserlautern de Ballack. Ils auront été loin d’être ridicules en terminant certes à la dernière place de la poule, mais avec 5 points en 6 journées et ses élèves auront sans doute été fiers de le voir le soir à la télévision marquer l’histoire du football finlandais. À la fin de la campagne européenne, freiné par les blessures, il mettra un terme à sa carrière à 34 ans.
Une carrière d’entraineur commencé par hasard
Son expérience de professeur durant sa carrière de joueur lui aura servi à devenir l’entraineur qu’il est aujourd’hui à l’image des José Mourinho, Louis van Gaal, Gérard Houllier, Roy Hodgson, Christian Gourcuff,… bien utile dans son approche avec les joueurs. Kanerva voit d’ailleurs beaucoup de points communs entre ses deux métiers nécessitant de bonnes capacités d’interaction, le besoin d’identifier et affronter des personnalités, des faiblesses et des forces différentes.
« De nombreuses méthodes utilisées à l’école, comme la discussion sur le développement, sont également directement transférables au coaching. » Kanerva pour Apu.fi.
Pourtant après sa carrière de joueur, Kanerva ne partait pas pour continuer dans le football mais dans l’éducation. Et sa première expérience de coaching se sera faite un peu par hasard en 1998. En effet, alors que son fils Kim évoluait en tant que gardien dans un club amateur de la capitale le Malmin Palloseurassa qui était en recherche de staff, il a été choisi comme entraineur adjoint de l’équipe de jeunes des 1992 où évoluait son fils.
« Le coaching est né de l’enthousiasme de mon propre fils. C’était une expérience de déjà vu. » – Helsinki.fi.
Ravi de l’expérience de coaching, il aura obtenu son diplôme d’entraineur licence A UEFA et aura ensuite eu l’opportunité de revenir dans son ancien club de l’HJK comme adjoint durant deux saisons. Puis, il aura été nommé à son premier poste de manager en 2003 avec le FC Viikingit qu’il aura mené en une saison de la 3e à la 2nde division. Une belle prouesse réalisée pour ses débuts qui laissait espérer un bel avenir au sein de ce club, mais la fédération avait un autre projet pour lui en lui proposant le poste de sélectionneur des U21.
Une ascension linéaire au sein de la sélection finlandaise
Après réflexion, il accepta de prendre le poste de sélectionneur des U21 en 2004. Mais ses débuts furent très compliqués. Une seule victoire en 4 rencontres et que 2 buts marqués la première année. Et en 2005 et 2006 ce ne fut guère mieux avec 6 défaites pour une seule victoire et un nul contre la Macédoine pour terminer les éliminatoires avant-dernier puis dernier. La fédération hésita à changer de sélectionneu,r mais le président lui aura maintenu sa confiance. Et il aura bien fait ! En effet, lors des éliminatoires suivants, Kanerva aura réussi à faire terminer la Finlande premier du groupe devant l’Écosse, le Danemark, la Slovénie et la Lituanie avec 6 victoires pour une seule défaite et un nul.
Malgré leur première place, à cette époque, ils devaient tout de même disputer un barrage final pour valider leur ticket. Ce qu’ils auront fait face à l’Autriche au bout du suspens après une séance de tirs au but pour mener les jeunes finlandais aux Championnats d’Europe U21 de 2009, ce qui ne s’était jamais produit auparavant. Et malgré une dernière place avec 3 défaites dans le groupe de la mort avec l’Espagne, l’Allemagne et l’Angleterre, l’équipe aura acquis une belle expérience notamment avec des Teemu Pukki, Tim Sparv, Joona Toivio et Jukka Raitala aujourd’hui cadres des A. Et Markku Kanerva aura de nouveau écrit une nouvelle page du football finlandais, cette fois en tant que sélectionneur.
Après cette belle expérience avec les U21, Kanerva finit par rejoindre le staff de la sélection A en devenant l’adjoint de Stuart Baxter en 2010, de Mixu Paatelainen de 2011 à 2015, puis de Hans Backe en 2016. Durant la passation des sélectionneurs, Markku Kanerva aura eu l’occasion d’être le sélectionneur intérimaire avec une belle réussite : 4 victoires, trois nuls et une seule défaite. Mais il était toujours estimé comme second et roue de secours pour la fédération qui préférait le remplacer et miser sur un autre sélectionneur. Ce n’est que lors du licenciement du suédois Backe en décembre 2016, qui aura réalisé lors de son passage un des pires bilans de l’histoire de la sélection avec 2 nuls et 9 défaites, que la donne aura changé. Kanerva aura enfin eu sa chance en étant promu sélectionneur principal avec un contrat de trois ans.
«Certaines personnes ont dit que j’étais fou quand j’ai pris le poste de sélectionneur numéro 1. Personnellement, je pensais que je n’avais que quelque chose à gagner, et d’un autre côté, qu’une opportunité similaire ne se présenterait probablement pas plusieurs fois » – Kanerva dans le livre sur ses méthodes : C’est ainsi que j’entraîne les gagnants
Kanerva avait alors l’avantage de connaitre parfaitement les joueurs, certains depuis les U21, d’autres grâce à son poste d’adjoint. Et il aura rapidement réussi à transformer un groupe pas du tout en confiance en un groupe solidaire et hargneux ce qui se sera directement fait ressentir sur le terrain et au niveau des résultats. Après avoir bien terminé le groupe de qualifications pour la Coupe du Monde 2018 pris en cours, son équipe aura ensuite dominé son groupe de Ligue des Nations composé de la Grèce, la Hongrie et l’Estonie pour accéder à la Ligue B. Prémisse de ce qu’ils auront ensuite montré en qualifications pour les Championnats d’Europe avec en novembre 2019, le Graal, la qualification historique en terminant certes derrière l’Italie mais à la seconde place qualificative devant la Grèce, la Bosnie, l’Arménie et le Liechtenstein. 10 ans après la participation à l’Euro U21, Kanerva envoyait désormais les A à l’Euro pour la première fois de l’histoire. Homme des premières pour le football finlandais.
« Cela a été un rêve pour des générations de Finlandais. Les footballeurs ici ont essayé de continuer à croire à travers les moments difficiles et l’espoir pour nous tous a toujours été : «J’espère que nous pourrons le faire de mon vivant». Donc, pour enfin le faire, eh bien, vous pouvez imaginer à quel point cela a signifié pour nous. » – Marrku Kanerva sur le site de la FIFA.
Ses méthodes et son style de management
Markku Kanerva est décrit comme un nerd du football, quelqu’un de modeste, positif et qui reste simple et lui-même malgré son nouveau statut de héros de toute la nation. Loin d’être un génie tactique, malgré ses 4 titres d’entraineur de l’année en Finlande en 2008, 2018, 2019 et 2020, il a repris le 4-4-2 traditionnel en sélection. Mais il s’adapte néanmoins et décline souvent sa tactique en 3-5-2/5-3-2 de plus en plus souvent face aux fortes oppositions comme on devrait le voir à l’Euro notamment contre la Belgique. Il fait jouer la Finlande avec un axe de jeu concentré sur une bonne assise défensive et des transitions rapides en contre-attaque.
C’est un chef d’équipe qui prend le temps de parler et comprendre ses joueurs en misant sur du « soft coaching » et du leadership humain. Son passif d’enseignant se reflète dans son style et sa philosophie de coaching où il a réussi à créer pour la sélection finlandaise l’esprit d’un club avec des joueurs soudés et qui se connaissent parfaitement au sein d’un jeu d’équipe uniforme. Notamment défensivement la grande force de l’équipe où on voit bien l’exemple d’unité qui se dégage du travail de Kanerva. Il divise souvent les joueurs en groupes de travail ou par paire pour discuter de diverses questions tactiques et travailler sur des aspects de jeu afin de créer une harmonie. Dans le livre, Alpo Suhonen a énuméré 8 principes fondamentaux appliqués par Kanerva au sein de son groupe : le respect, la transparence, l’interaction, la confiance, la préparation, l’atmosphère, la légèreté et la tolérance au stress.
« Créer une atmosphère est la pierre angulaire de ma propre philosophie d’entraîneur. Si un joueur se sent en sécurité, il pourra être lui-même dans un environnement qui le soutient dans la poursuite de ses propres rêves. Respecter, valoriser les autres, prendre soin des autres et assumer la responsabilité de vous-même et de vos coéquipiers est l’objectif premier. Et je pense que cela dépend beaucoup de l’ambiance de l’équipe. Les résultats découlent de l’atmosphère et de la culture opérationnelle qui ont été créées pour l’équipe et le club. » Kanerva dans le livre C’est ainsi que j’entraîne les gagnants.
« Quant à mon style d’entraînement, je me décrirais comme assez old-school, mais aussi très orienté joueur. Je travaille beaucoup sur les détails et j’aime étudier de près les joueurs individuels et obtenir des commentaires d’eux, entendre leurs idées et discuter de la façon dont nous pouvons en tirer le meilleur parti. » – site de la FIFA.
Kanerva accorde également une très grande importance à l’analyse vidéo et aux datas. Chaque semaine avec son staff, en plus des matchs vus sur place ou à la télévision, ils utilisent l’outil InStat pour suivre les joueurs finlandais à travers les statistiques et compilations vidéo qui sont ensuite discutées avec les concernés. Ils examinent aussi attentivement les adversaires pour ajuster et planifier le contenu des entrainements lors des oppositions en imitant le style de jeu des adversaires. Un gros travail de préparation et de debriefing est donc réalisé par l’équipe de Kanerva pour préparer au mieux les joueurs tout en leur laissant une liberté dans leur approche.
« En tant qu’entraîneur, je guide le joueur dans une certaine direction, en tenant compte des caractéristiques du joueur. Je le soutiens pour qu’il s’approprie son développement, c’est-à-dire qu’il s’auto-dirige », explique Kanerva dans le livre.
Une approche et des méthodes de coaching qui ont porté leurs fruits pour Marrku Kanerva au sein de la sélection finlandaise pour marquer l’histoire d’une nation et la carrière d’un groupe avec cet Euro historique pour eux à disputer en ce mois de juin. Si la marche semble élevée pour espérer un parcours au-delà des groupes, l’esprit de groupe et d’unité qui se dégage de ce collectif porté par Kanerva laisse espérer d’au moins montrer un beau visage combatif comme ont pu le faire l’Islande de Lagerback à l’Euro 2016 dont le finlandais s’inspire beaucoup. Après un tel parcours et succès, on se demande forcément après ça jusqu’où Marrku Kanerva pourra porter cette sélection et génération. Et cet Euro cet été pourra déjà apporter certains éléments de réponse.
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